La cour d’appel de Paris a confirmé, mardi 10 septembre, que le policier mis en examen pour des violences sur un adolescent de 14 ans lors de son interpellation, en 2020 à Bondy, ne serait pas jugé. L’avocat du jeune homme s’est pourvu en cassation.

Son visage tuméfié et ses larmes avaient fait le tour de France au printemps 2020. À la sortie du premier confinement, le jeune Gabriel D., 14 ans, a brièvement incarné un débat national sur les violences policières et le racisme systémique, alimenté par l’affaire Adama Traoré, l’injure « bicot » prononcée par un fonctionnaire de police à L’Île-Saint-Denis et le meurtre de George Floyd aux États-Unis.

L’interpellation de Gabriel D. pour la tentative de vol d’un scooter, dans la nuit du 25 au 26 mai 2020 à Bondy, s’était conclue par des fractures au visage, trois dents cassées et trente jours d’interruption totale de travail (ITT) attribués par un médecin légiste. Plaqué au sol à l’issue d’une course-poursuite à pied, l’adolescent a toujours soutenu qu’un policier de l’équipage lui avait mis « trois ou quatre » coups de pied dans la tête, en le traitant de « connard ».

« Troublé » par cette affaire, le ministre de l’intérieur de l’époque, Christophe Castaner, avait demandé publiquement à ce que « la lumière soit faite ».

Trois ans et demi plus tard, le juge d’instruction chargé du dossier à Bobigny a rendu un non-lieu au bénéfice du seul policier mis en examen dans cette affaire, a révélé l’AFP cet été. La partie civile a contesté cette décision devant la cour d’appel de Paris, qui a confirmé le non-lieu, mardi 10 septembre, estimant que « les charges sont insuffisantes » pour renvoyer Benoît D., aujourd’hui âgé de 32 ans, devant le tribunal correctionnel.

Ce fonctionnaire a toujours affirmé avoir trébuché « dans l’élan de sa course » sur l’adolescent, qui était tombé au sol, sans qu’aucun coup ne lui soit porté de manière intentionnelle. Ses collègues ont corroboré ses dires. Depuis sa mise en examen, en mai 2022, Benoît D. est resté libre sous contrôle judiciaire, avec pour seule interdiction celle d’entrer en contact avec la victime. Contacté par Mediapart, son avocat, Frédéric Gabet, n’a pas souhaité s’exprimer.

Dans sa décision, dont Mediapart a eu connaissance, la chambre de l’instruction rappelle que les déclarations de Gabriel D. sont « parfaitement constantes » et que ses blessures ont bien été causées par son interpellation. Pris de vomissements en garde à vue, il avait passé dix jours à l’hôpital. Pour autant, « aucun des fonctionnaires de police présents n’admet l’existence de coups volontairement portés au visage ».

Si l’adolescent accuse les policiers d’avoir voulu se couvrir en prétendant qu’il était « tombé », les juges estiment que les éléments du dossier ne permettent pas de poursuivre Benoît D. pour des violences volontaires.

###« Gabriel ne s’est jamais remis de ces événements »

La version de Gabriel D. a été « étayée par le premier avis médical », mais « considérée par les autres sachants soit comme une alternative, soit purement et simplement écartée », écrivent les magistrats. Au cours de l’enquête et de l’instruction, trois expertises confiées à des chirurgiens ont conclu que « des coups de pied au visage auraient été bien plus traumatisants ». Ils penchent plutôt pour une « chute », peut-être suivie d’un autre choc, lorsque le policier aurait heurté le visage de Gabriel D. avec sa Rangers.

La cour d’appel valide ainsi l’analyse du juge d’instruction, qui dans son ordonnance du 21 décembre 2023 s’appuyait sur ces « expertises médicales contradictoires » pour conclure qu’il « n’est pas possible d’établir précisément ce qui s’est passé » lors de l’interpellation. « Un doute subsiste sur [son] déroulement exact », écrivait-il aussi. S’il est « indéniable » que Gabriel D. « a été blessé au visage » et « subit encore les séquelles de cette interpellation », « l’existence de violences commises par Benoît D. n’est pas étayée par des éléments objectifs ».

L’avocat de Gabriel D., Stéphane Gas, a tenté d’infléchir la décision en rappelant aux juges que deux versions du procès-verbal d’interpellation ont été rédigées et que les policiers, dans leur appel aux pompiers, évoquent un « mauvais coup » sur la tête. Mais la cour d’appel a tranché : cela ne permet pas de « révéler l’existence de coups volontairement portés ».

Stéphane Gas déplore une décision « incompréhensible quoique tristement prévisible », contre laquelle il a « immédiatement formé un pourvoi en cassation ». L’avocat regrette que « comme souvent, les graves blessures d’un jeune et ses déclarations constantes » soient « balayées par des déclarations invraisemblables d’un agent de police » et maintient que son client « a bien été victime de violences ». Il ajoute que « Gabriel ne s’est jamais remis de ces événements. Il est difficile de lui dire d’avoir confiance dans notre police lorsque la justice couvre des comportements aussi injustifiables ».

En parallèle de l’enquête judiciaire, l’enquête administrative a retenu des « manquements professionnels » et des « comportements contraires à la déontologie » de la part de deux policiers. Elle estime d’une part que Benoît D. a « manqué de maîtrise » dans ses gestes, ce qui l’a conduit à « blesser involontairement mais grièvement » l’adolescent, d’autre part que ce policier et l’un de ses collègues n’ont pas été suffisamment réactifs pour lui prodiguer les premiers soins et appeler les secours. À ce stade, aucune sanction administrative n’a été prononcée.

Le Défenseur des droits, qui s’était également saisi de l’affaire, indique que le dossier est toujours en cours d’instruction par ses services.