https://www.lemonde.fr/international/article/2024/07/08/au-japon-la-gouverneure-nationaliste-de-tokyo-se-reve-premiere-ministre_6247929_3210.html

Le tanuki (« raton laveur ») est un animal apprécié au Japon, où le folklore en a fait un maître de la métamorphose. Beaucoup de Japonais retrouvent ses talents dans Yuriko Koike, fervente nationaliste qui se rêve première ministre, après avoir été largement réélue, dimanche 7 juillet, avec 42,8 % des suffrages exprimés, pour un troisième mandat de gouverneure de Tokyo.

Baptisée « le raton laveur vert » – de la couleur de son « parti des citoyens en premier » –, cette ultranationaliste, âgée de 71 ans, a devancé plus d’une cinquantaine d’adversaires avec l’appui du Parti libéral démocrate (PLD, conservateur, au pouvoir). Son programme, nommé « Tokyo grandes réformes, 3.0 », s’appuyait sur trois piliers : « sécurité, diversité, smart city ». Elle a promis des mesures fortes pour l’environnement et les familles avec enfants, dans la lignée de ses efforts en faveur de la gratuité de la scolarité. De quoi séduire des Tokyoïtes inquiets du coût de la vie et du déclin démographique.

La gouverneure est notamment appréciée pour ses efforts en faveur des familles et de la préparation aux catastrophes dans une ville soumise à un fort risque sismique. Elle bénéficie d’une réelle stature internationale. « J’ai reçu le soutien inconditionnel des habitants de Tokyo qui, une fois de plus, m’ont demandé de promouvoir davantage de réformes et d’améliorer leurs conditions de vie », a déclaré Yuriko Koike, qui parfait ainsi son ancrage dans la capitale de 13,5 millions d’habitants.

Fait rare au Japon, la campagne a suscité un réel intérêt. Le taux de participation a atteint 60,6 %, contre 55 % en 2020. Elle a également été ponctuée d’incidents – huées, menaces – pendant les discours des principaux candidats, dont Mme Koike, et d’opérations d’affichage sauvage. « Je n’avais jamais vu ça », a regretté la gouverneure, ce qui ne l’a pas empêché de largement dominer ses adversaires. La première d’entre eux, Renho Murata, candidate soutenue par l’ensemble de l’opposition, misait sur un programme progressiste pour renverser la gouverneuse sortante.

Reproches.

Yuriko Koike est née en 1952 à Ashiya, dans le département de Hyogo (Ouest). Elle a étudié la sociologie à l’université Kwansei Gakuin avant d’intégrer l’université du Caire, un choix dicté par son père, négociant dans le domaine pétrolier et promoteur de liens solides avec les pays arabes. En Egypte, elle rencontre un étudiant japonais qu’elle épouse avant de divorcer quelques mois plus tard. Elle ne s’est jamais remariée.

Arabisante, même si des doutes planent sur la réalité de son diplôme cairote, Mme Koike a travaillé comme interprète, puis présentatrice, sur la chaîne privée TV Tokyo. Elle se lance en politique et est élue en 1992 pour la première fois à la chambre haute, avec l’appui du défunt Nouveau Parti du Japon.

Elle rejoint en 2002 le Parti libéral-démocrate (PLD), la quasi indéboulonnable formation au pouvoir au Japon. Ministre de l’environnement de 2003 à 2006, elle porte la populaire réforme des « Cool biz » et « Warm biz » qui incitent à adapter sa tenue aux saisons afin de limiter l’usage des climatiseurs l’été et du chauffage l’hiver. En 2007, elle devient la première femme à diriger le ministère de la défense, à la fin du premier mandat du très nationaliste Shinzo Abe – assassiné en 2022. En 2016, Mme Koike renonce au Parlement pour briguer le gouvernorat de Tokyo. Elle l’emporte, devenant la première femme à diriger la capitale japonaise. Elle est réélue en 2020.

Son action suscite toutefois des reproches, comme le non-respect de certains de ses engagements. Elle avait promu en 2016 les « douze zéro » : « zéro centrale nucléaire », « zéro gaspillage alimentaire » ou encore « zéro allergie au pollen ». Au final, résume l’écrivain Osamu Tekina dans un commentaire sans pitié : « Zéro réussite. Zéro réalisation. Zéro intelligence. Zéro responsabilité. Zéro pour toujours. Combien de fois nous, les humains, nous laisserons-nous berner par le vieux raton laveur ? »

Mme Koike se voit également critiquée pour son échec à faire de Tokyo un hub de la finance en Asie – une ambition affichée depuis 2017. Une partie de la population lui reproche le coût des Jeux olympiques de Tokyo de 2021, l’autorisation donnée au déménagement du marché aux poissons de Tsukiji ou au controversé projet de redéveloppement du quartier verdoyant de Jingu Gaien. Ses concepteurs, menés par le géant de la construction Mitsui, prévoient d’abattre des centaines d’arbres et de bâtir de nouvelles tours, une aréna et un nouveau stade de baseball.

Indéniable talent de communicante.

L’ancrage nationaliste de Yuriko Koike lui vaut son lot de polémiques. En 2023, Tokyo commémorait le centenaire du tremblement de terre qui fit 105 000 morts dans la capitale et sa région. La gouverneure a refusé de rendre hommage aux victimes coréennes des massacres commis par la police et la population dans les jours qui ont suivi le séisme. Elle s’est fréquemment rendue au très controversé sanctuaire Yasukuni, dédié à Tokyo aux soldats morts pour la patrie, y compris à certains criminels de guerre de la seconde guerre mondiale.

Son indéniable talent de communicante a permis de surmonter ces attaques. Il lui avait déjà servi en 2020 au début de la pandémie de Covid-19, quand le gouvernement semblait dépassé par la crise sanitaire. Sa gestion du virus, menée à travers des messages de bon sens délivrés quotidiennement sur YouTube, avait contribué à sa réélection pour un deuxième mandat à l’été 2020.

Son troisième succès à la tête d’une ville doté d’un budget à 14 000 milliards de yens (80 milliards d’euros) l’impose un peu plus dans un paysage politique nippon fragmenté, entre l’impopulaire premier ministre, Fumio Kishida, et une opposition peu audible. Forte de sa victoire, estime Hiroshi Shiratori, de l’université Hosei, Mme Koike pourrait « se lancer dans la course au poste de premier ministre ».