Bonjour à tou·te·s !
Comme l’indique le titre de ce post, dans quelques semaines je serai si tout se passe bien reconnu/ordonné pasteur par mon Église protestante française. Suite à une idée et avec l’aide notamment de @[email protected] (que je tiens à remercier ici), je vous propose maintenant de poser toutes les questions que vous auriez envie de me poser si on se croisait en soirée (généralement mon boulot intéresse les gens).
Un peu de contexte pour vous donner de l’inspiration. J’exerce en tant que vicaire (≈ stagiaire) d’abord comme assistant puis en autonomie depuis maintenant plus de deux ans. Même si je viens d’un contexte plutôt rural, je n’ai jamais exercé mes fonctions que dans les faubourgs strasbourgeois, ce qui colore forcément beaucoup mon expérience. Je ne prétend donc pas avoir une connaissance profonde et générale du pastorat et de l’Église, prenez ce que je dis avec un grain de sel. Au niveau personnel, j’ai bientôt 35 ans, j’ai un doctorat en théologie, je suis marié et j’ai deux enfants. Avant d’être pasteur vicaire, j’ai été jeune chercheur à la fac et enseignant en collège.
Le protestantisme est un ensemble de courants chrétiens, sans autorité centrale. Il y a beaucoup de diversité au sein du protestantisme, et il y a très peu de sujets sur lesquels nous sommes à peu près tou·te·s d’accord. Le protestantisme dont je vous parlerai sera donc « mon » protestantisme, que l’on appelle pour celleux qui connaissent, « historique » (en opposition au protestantisme « évangélique ») et « mainline » (en opposition aux protestantismes « conservateur/orthodoxe » et « libéral »). Mais même au sein du protestantisme « historique mainline » il n’y a pas d’autorité centrale, et donc beaucoup de diversité. Mais nous aimons cette diversité !
Demandez-moi ce que vous voulez !
Je précise néanmoins deux choses :
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En accord avec l’équipe de modération, il a été décidé de garder cet AMA détendu. La religion (et l’irreligion), c’est un sujet sensible, passionnant et qui touche à l’intime. Comme souvent ce genre de sujet, une discussion peut assez vite dévier en pugilat… et ce n’est pas très intéressant. Il est tout à fait bienvenu de poser des questions sur ce en quoi je crois, ou ce qu’enseigne le protestantisme (même si comme je l’ai dit le protestantisme est divers), et vous pouvez aussi sans problème dire que vous n’êtes pas d’accord. Mais restons-en si vous le voulez bien à des questions de culture religieuse, et, bien entendu, aux questions sur le pastorat comme profession. J’aime beaucoup les débats (respectueux) sur la religion, et je ne pense pas avoir « la » vérité, j’aime donc dans une certaine mesure être bousculé gentiment, ça me permet d’évoluer. Mais ce n’est ici pas le lieu.
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Déontologiquement, je suis tenu au secret professionnel. Ce n’est pas comme le secret de la confession catholique, je peux tout à fait révéler des choses graves que j’aurais entendu, mais uniquement aux autorités compétentes. Ici, je ne pourrai en fonction de vos questions pas forcément entrer dans les détails, notamment je ne dirai rien qui touche à la vie privée ou qui permettrait d’identifier les personnes que j’accompagne.
Au niveau de l’organisation, je suis assez peu dispo en soirée. Je serai donc là en « live » les 9, 11 et 16 avril entre midi et 14h ; mais je répondrai dans la mesure du possible aussi aux questions posées à d’autres moments de manière asynchrone.
Édit 1 : Pardon, je n’ai pas pu me connecter aujourd’hui entre midi, et je n’aurai pas plus de temps cet après-midi. Mais jeudi ça devrait le faire :-)
Merci pour ces questions, je vais essayer d’y répondre un à une.
Pour moi, si la foi devient une certitude, alors ce n’est plus la foi. Avoir la foi, c’est faire confiance sans pouvoir savoir si cette confiance est bien placée, et c’est ce qui en fait la difficulté, mais aussi la richesse et la puissance. Donc je ne parlerais pas de certitude, mais oui cette confiance est puissamment ancrée chez moi (et ce depuis tout petit, alors même que ma famille n’était absolument pas pratiquante). Au collège j’ai suivi le catéchisme pour la confirmation à la demande de ma grand-mère, et je me suis senti chez moi dans la paroisse où je suivais ce catéchisme. Pour la première fois j’assistais au culte, j’y participais même en tant que lecteur, et j’ai aimé ça, énormément, j’ai donc voulu devenir pasteur dès l’âge de 15 ans je dirais. Puis la vie m’a fait remettre en question ce choix, j’ai décidé que je ne voulais plus être pasteur, j’ai fait autre chose, et puis la vie m’a fait remettre en question ce nouveau choix et j’ai finalement toqué à la porte de l’Église pour devenir pasteur. Et depuis, à nouveau, je me sens à ma place. C’est un sentiment assez extraordinaire.
Mais l’aspect social est essentiel pour moi. Même à l’époque où je ne voulais plus être pasteur, j’ai toujours voulu faire un métier où j’étais en contact avec des gens et où, à une petite échelle, je pouvais faire une différence dans la vraie vie de vrais gens. Je le fais aujourd’hui, et c’est la foi qui me pousse à ça.
C’est un bordel total et absolu si on prend le protestantisme dans son ensemble. D’un côté ça me plaît, ça permet une très grande liberté, et j’aime ma liberté. Mais effectivement il y a des groupes qui sous le vocable « protestant » sont vraiment problématiques, et avec qui je ne veux rien avoir à faire. Qu’est-ce qui lie mon Église, qui marie les couples homosexuels, et une autre, qui propose des thérapies de conversion ? Trump et ses mouvances qui se prétendent évangéliques et Martin Luther King qui était pasteur ? Pas grand-chose. En fait, c’est à chacun·e de faire le tri pour soi. Personne ne va dire où commence et où finit le protestantisme, si ce n’est soi pour soi.
En France il y a quand même un organisme, la Fédération protestante de France, qui accueille une grande partie du protestantisme d’ici, dans sa diversité. Ses Églises membres se reconnaissent les unes aux autres le statut d’Église protestante, même si elles ne sont pas forcément en communion. Généralement, si une Église est membre de la FPF, c’est qu’elle a des discours et des pratiques acceptables dans notre société démocratique et pluraliste, et je peux travailler avec elles. D’autres en dehors de la FPF le sont bien entendu aussi, mais pas toutes, et de loin pas. Donc ça se passe au cas par cas.
Mais pour compliquer les choses, au sein même de mon Église, il y a plusieurs tendances, traditions et liturgies. Pour moi c’est une richesse extraordinaire, même si forcément je travaillerais mieux avec certain·e·s collègues qu’avec d’autres.
C’est une belle question effectivement complexe et délicate, je vais devoir être long sans pourtant rentrer dans sa profondeur, désolé.
Pour moi, Dieu existe. Je sais que c’est débattable, c’est une déclaration qui n’est pas réfutable, et qui sort donc de ce qui peut être su. Mais bon, il y a plein de choses essentielles dans ma vie que je ne pourrai jamais savoir, dont je ne pourrai jamais être sûr, et pourtant je construis ma vie autour, comme, par exemple, l’amour de ma femme, l’existence du bien, l’importance du beau, … Dieu n’est qu’une des hypothèses indémontrables sur lesquelles nous n’avons pas d’autre choix que de nous prononcer.
Pose avec moi, pour l’instant, l’hypothèse que Dieu existe.
Ensuite, quoi ? On peut choisir de vivre sa vie sans Dieu. Qu’il existe ou pas, je n’ai pas besoin de pratiquer une religion pour vivre, aimer ou faire le bien. Ça suffit à plein de gens. J’ai envie de dire : tant mieux pour elles et eux ! Mais moi, ça ne me suffit pas. Et je crois que pour beaucoup de gens sans religion (pas toutes et tous évidemment), ça ne suffit en fait pas non plus. Si Dieu existe, qu’il est le Créateur du cosmos, qu’il est le sens de ma propre existence, alors j’ai envie d’en savoir plus ! Pourquoi je suis là ? Pourquoi le mal ? Pourquoi les choses sont telles qu’elles sont, et pas autrement ? Pourquoi la mort ? Que faire pour être heureux ? Ces réponses, ce sont les religions et les autres discours métaphysiques qui les donnent.
Problème : des religions, il y en a plein, et il y a aucune raison à ce moment de notre raisonnement pour en choisir l’une plutôt que l’autre. En fait, une religion, c’est comme une langue. Une chaise, ce n’est pas plus une chaise qu’a chair, que seĝo, qu’una silla, ou que μία καρέκλα. Et pourtant, si je veux évoquer la réalité « chaise », il faut bien que j’utilise un mot, mais son utilisation ne rend pas les autres mots caducs.
Moi j’ai été élevé en français. C’est dans une église protestante que j’ai découvert Dieu. C’est donc en français et dans les catégories du protestantisme que je vais penser à Dieu, lui parler et en parler le plus naturellement. Ce qui ne veut pas dire que le catholicisme en latin ou l’islam en arabe soient caducs.
Mais dire que ces autres religions sont aussi légitimes, ça ne veut pas dire deux choses :
Ça ne veut pas dire qu’on peut librement les mélanger. Si au lieu de dire « cette chaise est jolie » je dis « tiu chair es ωραία », personne ne me comprendra. Pour bien parler une langue, il faut respecter un grand nombre de règles, la pratiquer longuement. C’est pareil pour les religions. Islam et protestantisme peuvent être deux voies religieuses légitimes, mais si je veux pouvoir retirer tout ce que je peux retirer d’une vie religieuse, il faut que j’en pratique une en profondeur.
Ça ne veut pas dire que toutes les religions se valent. Comme on peut quitter un pays et changer de langue si ceux qu’on a reçus à la naissance ne nous conviennent plus, on a le droit de juger de ce que la pratique de sa religion fait pour soi et d’en changer si le besoin s’en fait ressentir. J’ai découvert Dieu dans le protestantisme, mais si je suis resté protestant, c’est parce que cette religion me va. Elle me permet d’avancer dans la vie de manière libre, respectueuse des autres et de la création. Le message qu’elle porte (qu’on peut résumer en un mot : la grâce) me donne la force d’affronter ce que le monde m’envoie dans les dents. Loin d’être un enfermement, c’est une ouverture. J’irai chercher ailleurs le jour où ça ne sera plus le cas.
Merci beaucoup pour ta longue réponse